Le virus de la grippe aviaire H5N1. |
La grippe aviaire montre une fois de plus une dangereuse tendance
à l’expansion, et il ne devrait pas y avoir de différence, dans
le monde entier, sur le fait qu’on ressent la menace du virus A
de sous-type H5N1. Mais en voyant que le titre de l’article du «
Monde » du 27 janvier, écrit par leur envoyé spécial à Jakarta était
emprunt d’un pathétisme lugubre :"Adieu, cygne, canard, pigeon,
poulet", j’y ai ressenti une subtile différence. Le fait qu’il
fasse référence d’entrée à un cygne, doit provenir de l’association
d’idée avec le " chant du cygne ", et de la volonté de
faire sentir "Le dernier cri, avant la fin", ou "une
civilisation à l’agonie". Mais ce n’est pas le cas des autres
oiseaux. Pour les Français, il ne fait aucun doute que chacun d’eux
se superposent avec l’image de leurs plats habituels. Contrairement
aux Japonais qui se disent nonchalamment "Il suffit de ne pas
manger de poulets", ils doivent être en train de ressentir
un choc qui ébranle les bases de leurs vies.
Cependant, si on parle des mesures prises contre cette maladie,
ce n’est pas du tout une petite différence, et très concrètement,
la différence de quantité d’« antiviraux et vaccins » stockés
qui posent problème.
En postulant que les gouvernements agissent en utilisant « égoïstement
» leurs stocks d’antiviraux, la survenue du pic épidémique est
décalée de deux à quatre mois.
Mais si on regarde du point de vue international, le taux de
contraction de la maladie des pays pauvres (c'est-à-dire ceux
qui n’ont pas de stock) augmente à 20 ou 35%, tandis que les pays
riches le limitera à 0.06%. Cela veut dire que la grippe aviaire
deviendra la cause de nouveaux problèmes Nord-Sud. Le quotidien
prône donc la nécessité d’ "une gestion « altruiste »des
stocks d’antiviraux".
A propos, mon intérêt ne va pas à la grippe aviaire, mais à
l’emploi de l’adverbe « égoïstement ». Dans ce cas, il est clair
qu’il signifie « uniquement pour ses compatriotes », mais si on
devait dire la même chose en anglais, on utiliserait, bien sûr,
« egoistically » ou « selfishly ». Contrairement au français qui
utilise la même forme pour l’adjectif et le nom : « égoïste »,
l’anglais les séparent clairement ; dans le premier cas, on a
« egoistic », « egoistical », « selfish », et « egoist », « selfish
man (woman) » dans le second. Je pense qu’il y a un rapport avec
ceci, mais si on peut utiliser normalement selfishly : l’adverbe
créé en ajoutant le suffixe « -ly » à l’adjectif, en français,
l’ajout de « -ment » donne à l’adverbe l’impression d’être artificiel.
C’est la même chose pour son antonyme : « altruiste », et la raison
pour laquelle l’auteur de l’article a utilisé la forme « nom +
adjectif » : une gestion altruiste, plutôt que l’adverbe «altruistement
», doit être également cherchée de ce côté.
Ce n’est pas sans raison que je me suis intéressé à ces choses
insignifiantes. Il y a une règle qui veut qu’à l’écrit surtout,
on n’abuse pas des adverbes se terminant en « -ment ». Molière,
un auteur de comédies du 17e siècle, est célèbre pour avoir bien
utilisé ce principe dans ses œuvres. Il est né dans les quartiers
populaires de Paris, et est connu pour ne pas avoir apprécié les
choses artificielles, que ce soit du point de vue humain, ou de
celui de l’expression. Selon cette dernière position, il lui était
naturel de vouloir critiquer les « précieuses» qui faisaient,
à l’époque, la loi dans le monde mondain. Car, elles détestaient
le langage vulgaire, et à force de rechercher des expressions
élaborées, elles en étaient arrivés à des excès ; par exemple
elles appelaient le miroir «le conseiller des grâces », et au
lieu de dire " asseyez-vous ", elles disaient :"Ne
soyez pas inexorable à ce fauteuil qui vous tend les bras il y
a un quart d’heure ; contentez un peu l’envie qu’il a de vous
embrasser." Ces deux exemples sont tirés des «Précieuses
ridicules » (première en 1659, un grand succès), et le secret
de l’auteur était de faire répéter à ces dames des adverbes se
terminant en « -ment ». Je cite un extrait de la Scène IX.
Mascarille, le faux marquis.
«Les Précieuses ridicules »,Scène IX. |
Les personnages sont : Cathos (C) et Magdelon (Mg) sont des filles
de bourgeois qui sont montées à la capitale ; elles sont devenues
des précieuse ridicules. Mascarille (M) n’est qu’un valet de noble,
mais à la demande de son maître qui veut se venger de ces deux jeunes
filles, il les visite en se faisant passer pour un marquis, et réussit
à obtenir leurs bonnes grâces.
M--- Attachez un peu sur ces gants la réflexion de votre odorat.
Mg--- Ils sentent terriblement bon.
C---Je n’ai jamais respiré une odeur mieux conditionnée.
M---- Et celle-là ?
Mg---Elle est tout à fait de qualité ; le sublime* en est touché
délicieusement. (*elle a évité l’expression directe, cerveau)
M---Vous ne me dites rien de mes plumes ! Comment les trouvez-vous
?
C---Effroyablement belles.
J’ai utilisé des caractères gras aux endroits correspondants,
et les termes « terriblement », « horriblement » semblent avoir
été appréciés des précieuses, en tant que superlatif. Et il y
a beaucoup d’autres utilisations inhabituelles d’adverbes, comme
"...je suis furieusement pour les portraits. " ou "...je
suis diablement fort sur les impromptus." Comme le contenu
de la conversation est vulgaire, ce qui sied à un valet, la répétition
des adverbes en « -ment » provoque encore plus le rire du public.
Mais si leur utilisation est inhabituelle, faisons attention au
fait que nous sommes au temps de Molière. Dans les conversations
orales actuelles, « terriblement » et « effroyablement » sont
beaucoup utilisés, et ce de manière naturelle.
J’ai terriblement soif.
Ce vin est horriblement cher.
De plus, je ferais remarquer que les adverbes suivants sont
devenus des outils indispensables à la conversation de tous les
jours.
Vous êtes d’accord ?---Absolument. /Absolument pas.
Tu peux m’aider ? ---Mais certainement !/Certainement pas.
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