Couverture de la version française du
« Petit Prince ». |
ppPour la traduction de « cache-nez
», si la traduction de Naitô (A) : « erimaki » fait légèrement désuet,
faut-il choisir « muffler », ou « scarf »? Il y a également les
deux écoles chez les traducteurs anglais, ce qui nous n’aide pas
à décider.
Comme celles de Yamazaki (B) et de Ikezawa (D) ont choisi le premier,
et celle de Kurahashi(C), le second. J’ai demandé son avis à mon
entourage, pensant que le sexe du traducteur était la cause de cette
différence, et il semblerait bien que de nombreuses femmes soutiennent
la traduction« scarf ». Comme sur l’illustration, de sa propre main,
que nous a laissé l’auteur, le tissu, qui claque au vent à la manière
d’un cache-nez, semble mince (voir le numéro précédant), la traduction
« scarf » convient-elle mieux.
D’autre part, on peut aussi penser que C se base sur la nouvelle
traduction anglaise (de 2000). Effectivement, cet indice se retrouve
également en plusieurs autres endroits. On en trouve un bon exemple
au chapitre 7, au moment où « je » réponds au Prince d’un air absent,
énervé par le fait que la réparation de la panne pose problème :
J’étais très soucieux car ma panne commençait de m’apparaître
comme très grave...
A) La crevaison n’avait pas l’air de se réparer facilement ;
j’étais donc très inquiet.
B) J’étais très anxieux, car la panne commençait à me sembler
très grave.
C) L’accident commençait à se rapprocher d’une situation extrême.
D) J’étais énervé, en ayant compris qu’un accident d’avion était
si ennuyeux.
En excluant « la crevaison » de A, qui est complètement fausse,
la meilleure traduction est celle de B, et celle de C est trop
libre. Surtout, pourquoi une traduction telle que « situation
extrême » est-elle apparue? Ce mystère se dissipe si on regarde
la traduction anglaise :
I was quite worried, for my plane crash was beginning to seem
extremely serious, ...
Consulter la version anglaise ne peut bien sûr qu’être recommandé.
L’exemple suivant (chapitre 3) montre que, sans l’aide de la traduction
anglaise, on risque de ne jamais se rendre compte de la mauvaise
traduction de A.
J’entrevis aussitôt une lueur, dans le mystère de sa présence,
et j’interrogeai brusquement.
That was when I had the first clue to the mystery of his presence,
and I questioned him sharply.
A) Aussitôt, j’ai eu l’impression que la magnifique silhouette
du Prince avait émis une lueur fantomatique ; mon souffle se fit
court.
B) Aussitôt, j’ai cru avoir obtenu un indice pour résoudre le
mystère de sa présence dans un endroit pareil, et je lui demandai
brusquement.
C) C’est à ce moment là que j’ai eu le premier indice sur la mystérieuse
apparition du Prince. Je l’interrogeais immédiatement.
D) A ce moment, j’ai cru voir une lueur dans le mystère de sa
présence ici. Je lui demandais tout de suite.
Effet de la lueur : Le songe de Saint-Joseph,
par George de la Tour. |
ppIci, c’est « lueur » qui a induit
A en erreur. Par exemple le dictionnaire français/japonais Standard
donne : "1) Une lumière faible. 2) Eclair. 3) L’éclat (des
yeux) 4) Une étincelle ; étincellement (de la raison) ; une lumière
(d’espoir) ". C’et à dire qu’il faut remarquer le sens des
mots s’élargit en se limitant au champ lexical de la « lumière ».
C’et pour cela même qu’A a compris que « le Prince avait brillé
».
Mais il s’agit ici de la signification 4) : une métaphore ; une
« lueur » qui avait brillé un instant sur « le mystère de la présence
du Prince au milieu du désert ». La traduction anglaise, citée plus
haut le montre clairement, et ce serait encore plus clair si on
le comparait à l’endroit correspondant de l’ancienne version :
I caught a gleam of light in the impenetrable mystery of his
presence...
J’ai au contraire l’impression que C s’est trop appuyé sur la
version anglaise ; de ce point de vue, j’éprouve de la sympathie
pour l’attitude de D, qui a tenu à « lumière».
La sensation de malaise qui provient du texte de C, me fait douter
du fait qu’il fait sa traduction en ayant saisi la structure de
base du français. Les exemples suivants, tirés du même (3eme)
chapitre, ont un rapport avec les notions de base de l’apprentissage
du français.
Et le petit prince eut un très joli éclat de rire qui m’irrita
beaucoup.
And the little prince broke into a lovely peal of laughter, which
annoyed me a good deal.
A) Après avoir dit ceci, le Prince rit d’une voix très charmante.
J’ai senti qu’il se moquait de moi, ce qui m’a beaucoup énervé.
B) Et le petit Prince rit d’une voix tout à fait charmante, mais
je n’ai pas apprécié ce rire.
C) Le Prince, après avoir dit ceci, rit d’une voix très agaçante,
très forte.
D) Comme le prince rit après avoir dit ceci, j’ai été très vexé.
Remarquons qu’A, B, et D, y compris la traduction anglaise,
notent les uns après les autres des gestes qui se suivent. Dans
la version originale, en français, les passés simples d’ « avoir
» et « irriter » sont employés, avec le pronom relatif « qui »
entre les deux. Pour cette forme, il faut rendre le fait que les
gestes/actions ont eu lieu dans l’ordre dans lequel ils sont écrits.
Seul C ne respecte pas cette règle, ce qui me dérange, car je
suis un professeur de français. A partir de cette gène, je voudrais
continuer un peu à en parler dans le prochain numéro.
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